Si les Vikings ont conquis la partie Nord-Est de l’Angleterre (Danelaw – Yorkshire), cette dernière ne le fut entièrement que deux fois, d’une part par les Romains et d’autre part par les Normands. Ce sont ces chevaliers normands et leurs servants, héros de la bataille d’Hastings en 1066, qui ont infusé dans le langage des Anglo-Saxons du XIe siècle un fort pourcentage de mots normano-picards qui nous reviennent aujourd’hui sous une forme anglicisée et porteurs d’une signification dérivée.
Ainsi en est-il pour cherry qui n’est autre que notre mot cerise, passé en Angleterre où le s a été pris pour la forme pluriel, et qui de ce fait est tombé. De même standart, définissant un objet conforme à un type, à un modèle, n’est autre que la forme anglicisée de l’ancien français estendard désignant une enseigne de guerre servant de point de ralliement.
Dans nos différentes rubriques, nous avons noté les formes anglicisées de Varenne > Warren / Mortemer > Mortimer / Gournay > Gurney / Estouteville > Stuteville / Guillaume > William / Gautier > Walter / Wanchy > Vauncy / Aquitaine > Guyenne / Galles > Wales / Neufchâtel > Newcastle / Richemont > Richmond / Longueville > Longville / Bellevue > Belle Vue / Neuville > Nevill / Montgommery > Montgomery…
Certains noms ont gardé leur orthographe d’origine, mais la prononciation a varié comme par exemple pour Beauchamp prononcé Bicham.
Warren (prononcé ouaren en anglais) se perpétue dans des noms de communes en Angleterre (Warren – Cheshire / Warren Street – Kent / Warren Row – Windsor & Maindenhead / Upton Warren – Worcestershire), en Ecosse (Warrenhill – South Lanarkshire), au Pays de Galles (Warren – Pembrokeshire), en Irlande (Warrenpoint), aux Etats-Unis (Warren – Michigan), au Canada (Warren – Manitoba), en Australie (Warren – New South Wales). C’est aussi devenu un prénom dans les pays anglo-saxons (Warren Buffett…). Cependant, tous ces Warren ne sont pas dus aux seigneurs du même nom, mais peuvent également avoir pour origine, comme en France, le sens de garenne. L’alternance G/W du français à l’anglais étant relativement courante : Guillaume devient William en anglais, Gautier devient Vautier ou Vatier en normand (Vatierville) et Walter en anglais…
Certains noms de grandes familles d’origine normande ont gardé leur orthographe d’origine tels que Beauchamp, Beaufort, Beaumont, Cluny, d’Arcy, Durville, Harcourt. On les retrouve souvent en noms composés dans de nombreuses communes anglaises, à savoir : Acton Beauchamp, Beaucamp Roding, Compton Beauchamp, Drauton Beauchamp, Hatch Beauchamp, Kibworth Beauchamp, Naunton Beauchamp, Shelsley Beauchamp, Shepton Beauchamp / Beaufort (1) / Beaumont (2) / Offord Cluny / Offord d’Arcy, Tolleshunt d’Arcy / Compton Durville / Kibworth Harcourt, Newton Harcourt, Stanton Harcourt.
D’autres comme les Mortemer et les Varenne ont subi quelques modifications (cf. supra), mais ils ne sont pas les seuls comme par exemple Longueville (Newton Longville, Orton Longville, Weston Longville) et Gournay (Farrington Gurney, Gurney Slade).
Le lieu où se déroula la bataille d’Hastings porte aujourd’hui le nom de Battle, mais plus précisément de Senlac, forme anglicisée du français lac de sang correspondant à Rougemare que l’on trouve à Rouen (Place de la Rougemare où eut lieu en 949 une bataille entre les armées normandes et françaises) et aux Landes-Vieilles et Neuves.
Concernant les châteaux forts à motte, le mot besle ou bail est devenu bailey en anglais.
Les exemples sont très nombreux. Le plus révélateur d’entre eux se remarque dans l’étymon (ancêtre d’un mot) commun au mot anglais car dont on retrouve la racine dans le français carrosse, carriole, charrue, chariot, charrette, charron… Nos cousins francophones du Canada utilisent toujours le mot char pour une voiture.
Dans le patois normand du Nord de la Seine-Maritime, on appelle encore une chenille, une carpleuse ou carpleur. C’est en fait la forme contractée de l’anglais caterpillar (chair velue).
A Rouen, le Boulingrin est la forme francisée de Bowling Green, héritage du siège de la ville par les Anglais pendant la guerre de Cent Ans.
Qui a déjà fait le rapprochement entre les mots suivants ?
Shop < échoppe / square < carré / school < école / knife < canif / chanel < canal / castle < castel=château / haven < havre / foreign < forain / book < bouquin / battle < bataille / to look < reluquer / wasp < guêpe / county < comté / war < guerre / can < canne (à lait), cannette / umbrella < ombrelle / pork < porc / picture < pictural / warder < gardien…
A propos de ce dernier, Vardes est un hameau de la commune de Neuf-Marché (= Nouvelle frontière) située sur la rivière L’Epte à la frontière entre la Normandie et l’Ile-de-France. A Vardes est un gué qui était gardé permettant son franchissement.
En anglais, fossé se dit moat (prononcé mout avec le ou long) qui nous fait penser au français motte qui signifie un relief en opposition. En pays de Caux, les clos masures sont entourés de « fossés » plantés de hêtres, et ces fossés sont en fait des levées de terre, de petites mottes permettant aux arbres d’avoir des racines pivotantes.
Evolution passionnante relatée dans le remarquable ouvrage de 364 pages d’Henriette Walter intitulé Honni soit qui mal y pense édité chez Robert Laffont en 2001 et dont nous avons extrait les lignes suivantes : « Quand on aime, on donne sans compter…, et quand on sait que plus des deux tiers du vocabulaire anglais vient du français ou du latin, que le mushroom anglais est en fait le mousseron français assaisonné à la mode anglaise et que le bol français est à l’origine le bowl anglais prononcé à la française, on comprend alors qu’entre ces deux langues, c’est une véritable histoire d’amour qui a commencé il y a plusieurs siècles… et qui dure ».